Le cri de la fougère – un conte sonore et vidéo
Le Cri de la Fougère est un atelier de sensibilisation et de création sonore, mené avec une classe double niveau CE2-CM1 de l’école Le Vau (Paris 20e). Le square Léon Frapié qui se trouve à côté de l’école, s’est transformé en île déserte, les élèves en naufragés. L’occasion d’arpenter ce nouveau lieu à la recherche de sons inouïs.
Le conte à lire ici :
L’aventure commence sur un bateau.
Une vingtaine de hardis moussaillons naviguent sur le vaste océan, à
la lisière des deux mondes.
Jusque là, tout va bien.
Mais la mer se met à gronder, menaçante, et une tempête se déclenche.
Le bateau est chahuté, les vagues percutent la coque, le bois grince
dangereusement et les matelots s’activent en tous sens. Certains
crient mais ils se reprennent vite.
Le bateau ne coule pas, il s’échoue sur une île isolée, pile à cheval
sur la crête entre les 2 mondes : l’île Léon Frappié, baptisée ainsi
après qu’un matelot ait entendu des rugissements incohérents et qu’il
ait voulu s’écrier : « c’est l’île du lion frappé ! », mais que, de peur
ou d’excitation ça langue ait fourché, et que tout le monde ait
compris autre chose, ce qui devint le nom de l’île.
Plutôt que de rester cloîtrés sur leur bateau à attendre un très
hypothétique secours, nos intrépides matelots décident d’aller
explorer l’île, par souci scientifique autant que par un secret
espoir, partagé par tous, mais que personne n’ose s’avouer, de
rencontrer des autochtones et d’obtenir leurs conseils et leur
assistance pour poursuivre leur long voyage, qui ne faisait que
commencer.
Il faut dire que le terrain près duquel ils s’étaient échoué était
loin d’être vierge, puisque parsemé d’étranges objets-constructions
que seules des intelligences très développées pouvaient avoir
élaborés. Après en avoir expérimenté tous les usages possibles et s’en
être bien amusé, après avoir défriché les environs proches, les
matelots décident de partir visiter le reste de l’île.
Ils traversent une rivière à gué et découvrent un nouveau paysage :
une jungle touffue et accidentée. Ils s’y déplacent
précautionneusement, en faisant bien attention où ils marchent, pour
ne pas faire de bruit.
Car la forêt n’est pas inhabitée. Elle est peuplée par de nombreux
animaux dont ils entendent les cris, parfois sympathiques, souvent
effrayants. Et plus ils s’enfoncent dans la jungle, plus ils se
sentent surveillés, suivis, entourés, observés, décortiqués,
cartographiés comme les morceaux de bœuf sur le panneau de l’artisan
boucher.
Ils prennent peur.
Pressent le pas.
Les cris les accompagnent et s’amplifient autour d’eux.
Ils courent, ne savent pas où aller, craignent de se séparer et que
l’un d’entre eux se fasse happer par quelque bête sauvage.
Mais c’est alors qu’ils aperçoivent, si proche et en même temps si
loin, une montagne qui se dresse avec aplomb, un mont pelé surmonté
d’un unique pin majestueux.
ils redoublent d’efforts, évitent quelques coups de griffe et de
crocs, et parviennent à atteindre les parois escarpées du pic-à-un-
seul-cheveu et, portés par l’énergie du désespoir, ils l’escaladent
sans coup férir.
Arrivés au sommet, ils ont presque la tête dans les nuages. Ils
surplombent l’île entière, sur laquelle ils ont une vue panoramique.
Ils aperçoivent leur bateau, échoué dans la crique entre une falaise
et une rivière qui se jette dans la mer. Mais ils distinguent aussi,
vers l’autre bout de l’île, par delà la jungle, une plaine d’un vert
éclatant ; et, plus loin encore, derrière un dense rideau de
végétation… Des géants ! Des hommes si grands qu’ils ne voient pas
leur tête, qui semblent perforer le plafond céleste. Ils sont loin à
l’horizon, pris par une occupation incompréhensible à cette distance,
et nos petits matelots, si petits matelots en haut de la montagne,
comprennent qu’il est illusoire d’essayer d’attirer leur attention de
là où ils se trouvent ; ils n’ont pas le choix, ils doivent se rendre
jusqu’à eux…
Ragaillardis par cette perspective, et téméraires au point d’être
inconscients du danger, ils se lancent et dévalent le flan de montagne
comme un torrent de printemps. Ils s’enfoncent dans la forêt sans
ralentir et y creusent leur lit sans rencontrer d’obstacle, se
faufilant entre eux en coulant dans le bon sens de la pente.
La forêt s’espace, les grands arbres se font rares. Ils traversent les
sous-bois comme une trombe et sont soudain éblouis par une vive
lumière : c’est la plaine qui s’ouvre à eux, une plaine immense
recouverte d’herbe jeune au vert éclatant, dont les feuilles effilées
se balancent délicatement au gré d’une douce brise.
Ils sont sauvés.
Ils avancent encore un peu, pour se mettre bien à l’abri des bêtes
puis, épuisés, ils s’allongent sur la douce moquette végétale et
s’endorment aussitôt.
Ils ronflent.
Ils ronflent tant et si bien que leurs propres ronflements finissent
par les réveiller.
Il fait encore jour mais plus pour longtemps. Il est trop tard pour
continuer. Ils décident de s’arrêter pour la nuit, puisqu’ils se
sentent là en sécurité, et se repaissent des provisions qu’ils ont
emportées avec eux. Le lendemain, la journée sera encore bien remplie,
ils le savent. Alors ils entonnent des chansons ensemble, pour se
donner du courage puis, à une heure avancée de la nuit, ils se
laissent à nouveau glisser dans le sommeil.
Le lendemain, ils se lèvent tôt, fiers et conquérants. Ils prennent
une rapide collation et s’élancent dans la traversée de la prairie.
Chacun suit son propre chemin mais jamais ils ne se perdent de vue.
Ils s’éloignent et se rapprochent, se croisent et s’éloignent à
nouveau. Mais, rapidement, une nouvelle épreuve s’annonce : ils
viennent d’atteindre le rideau végétal. Une multitude d’arbustes
différents, aux formes si noueuses, tordues, fourchues qu’ils semblent
agoniser sur le sol sec et rocheux.
Ils s’engagent dans un chemin caillouteux qui se perd rapidement dans
la garrigue. Ils entendent des bruits étranges, assez désagréables,
comme des plaintes susurrées par la végétation déclinante. Ils
essayent de passer, à droite, à gauche, par au-dessus, en-dessous, ils
se baissent, se contorsionnent, leurs habits s’accrochent aux branches
comme si les arbustes cherchaient à les retenir.
Chacun cherche à s’ouvrir son propre chemin et ils finissent par se
perdre. On les entend qui s’appellent des 4 coins du labyrinthe
végétal, alors qu’ils tournent en rond et finalement, ils ne
parviennent à se retrouver qu’en s’envoyant des messages en morse sur
les arbres qui sonnent creux. Ils convergent tous au même endroit,
dans une espèce de cul-de-sac au fond duquel semble s’ouvrir une
grotte, mais l’entrée en est condamnée par une grille…
Les voilà tous devant, nos matelots aux pieds maintenant bien
terriens, à se regarder en se demandant que faire. Il y a une porte
dans la grille mais elle ne s’ouvre pas ! Il n’y a pas de serrure,
pourtant, pas plus de cadenas, c’est incompréhensible ! Arrêtés si
près du but, ce n’est pas possible !
Démunis, impuissants, désespérés et paniqués de devoir rebrousser
chemin pour affronter à nouveau tous les périls, simplement pour
rentrer se morfondre sur le bateau échoué, les voilà qui s’énervent
contre leur sort : certains secouent la porte, d’autres tambourinent
contre la grille, d’autres encore se lamentent à haute voix et
tiennent des propos incohérents, et tout se mélange et finit par
devenir une sorte de mélopée dans laquelle ils s’enivrent et se
bercent, pour finalement entrer en harmonie avec un bruit extrêmement
mélodieux : ils viennent de composer le code secret et la porte s’est
ouverte en grand pour les laisser passer.
Fous de joie, ils se précipitent dans la grotte qui s’avère être un
tunnel. il fait sombre mais ils n’en ont cure. Les murs suintent
l’humidité mais ils n’y font pas attention. Le tunnel se fait de plus
en plus serré, jusqu’à devenir pas plus gros qu’un boyau, mais ils
s’en moquent : ils rampent avec frénésie vers cette lueur qui brille
au bout, le plus vite possible, et finalement débouchent en plein
jour, dans l’antre des géants.
Éblouis par la luminosité soudaine, ils ne comprennent pas ce qu’il se
passe. Ils entendent des sons percussifs mais ne savent pas à quoi ils
correspondent. Que font les géants ? On dirait qu’ils jouent. Ils
manipulent une grosse balle qu’ils essayent de se chiper pour ensuite
la lancer vers un panier placé en hauteur, haut haut haut dans le
ciel… Les explorateurs regardent ces exploits avec des yeux remplis
d’admiration.
Oseront-ils leur parler ? Sauront-ils maîtriser le langage
incompréhensible des géants, à mi-chemin entre onomatopées,
modulations harmoniques et chants ?