RETENTISSEMENTS
partition

Mon travail se construit à partir de conditions (la forme d’un lieu, les variations météorologiques, un état d’attention particulier), de processus et d’étapes.
Chaque geste, chaque objet plastique qui est produit est considéré comme un démarrage possible pour autre chose. Une partition est un élan, une amorce.

Fig 1 : Chasse de lumière. Art Paris Art Fair. Grand Palais Paris 2016. © E. Read et Ectoplasme lumineux.

Mon travail se construit à partir de conditions (la forme d’un lieu, les variations météorologiques, un état d’attention particulier), de processus et d’étapes.

Chaque geste, chaque objet plastique qui est produit est considéré comme un démarrage possible pour autre chose. Une partition est un élan, une amorce.
 

Au départ, il y a une situation, un lieu, avec une temporalité, un climat, une atmosphère, et ce lieu invite à des parcours, à une déambulation quasi passive. Cette situation semble exiger le choix de modes d’agir, cet agir sera des gestes, des dessins, des bouts filmés, des tentatives : des captations pour mieux voir, mieux entendre.

En position d’ « être à l’affut », je travaille à capter et transcrire le mouvement à peine perceptible, mais permanent, de la lumière du jour. C’est une traque. Lorsque de l’inattendu et des incidents se produisent, il me faut à nouveau les capter. Ainsi, à chaque fois ce qui se produit au cour de mon travail modifie celui-ci. À aucun moment je ne suis guidée par une image d’achèvement. L’énergie de la lumière, de ses mouvements a peine perceptibles, se transcrit de partition en partition, d’agir en agir, comme une tentative d’épuiser en moi son retentissement.

Fig 2 : Lumière sur papier blanc. Musée des Arts et métiers. 2014. © E. Bouyer.

HYPER-SENSIBLES

Les peintures blanches étaient des aéroports sur lesquels se posaient les lumières, les ombres et les particules.
(John Cage, 1961, extrait traduit par Jean-François Allain).

Au départ, je me retrouve face à une page blanche et une lumière apparait sur la page.

Cette page est posée dans un lieu, dans ce lieu arrive un rayon lumière qui va me mettre en mouvement, en travail (fig. 2).

C’est cette lumière qui va m’intéresser, quelque chose d’extérieur qui arrive, et qui rappelle cette citation de John Cage à propos des peinture de Robert Rauschenberg, que lui même qualifiait de « peintures hypersensibles ».

Conférence en forme de chasse de lumières

Fig 3 : Chasse de lumière au Cube. Octobre 2017. © A. Avril

Pour illustrer le processus de mon travail – lors de la présentation que j’en ai fait au Cube sur l’invitation de l’Autre musique –, j’ai choisi de réaliser une chasse de lumière durant la conférence de décembre. Pour des raisons climatiques, cette performance a bien été réalisée au Cube, mais en octobre, alors qu'il y avait encore du soleil (fig. 3).

J’ai pris comme ustensile le format A4, en référence à l’outil du conférencier. Je suis donc arrivée avec les feuilles dans le lieu d’apparition de la lumière, sans avoir prémédité mon action, c’est à dire sans savoir où j’allais poser mes feuilles pour dessiner la lumière.

À chaque fois je suis étonnée, car le mouvement de la lumière nous renvoie au mouvement de la terre qui bouge autour d’elle même, et la terre tourne très vite. La lumière avançait très rapidement et j’ai presque été un peu prise de cours. J’étais tout le temps en train d’essayer de scotcher ma feuille pour pouvoir dessiner dessus tout en voyant les lumières avancer… Une vraie course poursuite, qui a duré 45 minutes.

À la fin, j’avais 47 feuilles. Je me suis appliquée à redessiner leur emplacement précis sur le mur, je les ai numérotées dans l’ordre dans lequel je les avais réunies et non pas dans celui dans lequel je les avais positionnées sur le mur.

Fig 4 : Dessin de lumière aux Bains de Colmar. 2010. © A. Avril

DÉPLIER LE PROCESSUS

Étape 1 : la chasse

L’origine : La première fois que j’ai dessiné la lumière ainsi, c’était en 2010, dans les anciens bains alors désaffectés de Colmar (fig. 4). Durant huit heures, j’avais fait un dessin de sept mètres de long qui était quasiment illisible. J’ai eu besoin de le rendre lisible pour le voir ; j’ai posé des plastiques transparents dessus et l’ai transcrit avec des paillettes.

Fig 5 : Transmetteurs in situ. Le Cube. 2017. © E. Bouyer

Étape 2 : les transmetteurs

Retour au Cube : avec mes outils, le plastique transparent et les paillettes, j’ai transcrit les dessins de captation en 47 dessins pailletés que j’appelle des « transmetteurs ». Je suis revenue installer les transmetteurs exactement là où je les avais dessinés et j’ai attendu (fig. 5).

Si dans la chasse de lumière, c’est l’état d’affût qui est requis, ici il s’agit plutôt d’écoute ou d’attention flottante. Ce qui peut se produire varie selon les lieux et leurs ambiances.

Cette capacité à perturber l’espace en y posant les transmetteurs m’est apparue par hasard dans mon atelier, en 2010, et a ouvert plusieurs pistes de travail. C’est ainsi que j’ai commencé à envisager les transmetteurs comme des partitions.

Fig 6 : Apparition d’ectoplasmes lumineux. Le Cube. 2017. © E. Bouyer

Étape 3 : les ectoplasmes lumineux.

L’origine : Quand j’ai commencé à transcrire les dessins de lumière de Colmar, le soleil est entré dans l’atelier et s’est posé sur les plastiques et paillettes, produisant des formes sur le mur, que j’ai appelées « ectoplasmes lumineux ». Parfois très grandes, ces formes se déplacent et se transforment (fig. 6).

J’ai tenté de les dessiner, mais en vain. La matière lumineuse des ectoplasmes est telle qu’on ne peut en retranscrire la force de la lumière par le dessin. Aussi, je les ai photographiés. Si les dessins ne permettent pas de saisir le déplacement de cette forme, les photos font voir un instantané de son mouvement.

Après les avoir contrastées, j’ai tiré ces photos pour les faire ressembler à des radios médicales. Ce fut la première matérialité des ectoplasmes lumineux (fig. 7).

Fig 7 : Ectoplasme lumineux/radiographie. 2014. © E. Bouyer

Mais il m’arrive de procéder à des captures, c’est-à-dire que je les mets en boites lumineuses. J’utilise volontairement ce terme de « capture », en référence à la chasse, et aussi pour renforcer – par opposition – la qualité fugace et insaisissable de l’ectoplasme lumineux.

Retour au Cube : Pour que se manifestent des ectoplasmes lumineux à partir des saisies de lumières au Cube, j’ai dû attendre le passage de rayons de soleil. Ce fut un matin, proche d’un mur vert, et j’y ai déposé mes transmetteurs. Les ectoplasmes sont alors apparus en fonction de l’angle d’incidence du reflet sur le mur. Le cliché a révélé une nouvelle forme d’ectoplasmes, qu’il n’a pas été nécessaire de contraster pour mieux les voir. Ils étaient visibles tels quels (fig. 8).

Fig 8 : Ectoplasme lumineux. Conférence en forme de chasse de lumière. Le Cube, 2017. © D. Cornaert

LES STRATES D’INTERPRÉTATION

Dans le processus de mon travail, chaque étape démarre par une attention sur le réel, que ce soit un lieu ou une production plastique. Ce qui va apparaître lors de cette « écoute » va m’inspirer une action. C’est cette capacité à déclencher une action qui me permet de qualifier de partition telle ou telle production.

Je qualifierai de « jeu » l’activation de cette partition, et dans « jeu » on pourra également entendre « interprétation ».

Fig 9 : Dessin de repérage. Chasse de lumière Musée des Arts et Métiers. 2014. © E. Bouyer

Jouer du lieu, jouer du temps

Les chasses de lumière en public ne sont pas des formes à regarder, mais plutôt des expériences à vivre, autant pour moi que pour les spectateurs. Il m’est alors nécessaire d’effectuer des repérages dans le lieu, afin de déterminer le type de dispositif qu’il faudra mettre en place.

En 2014, pour préparer la performance Scanner asynchrone autour du Pendule de Foucault au Musée des Arts et Métiers, je suis allée observer le déplacement de la lumière et mes possibilités d’intervention sur le lieu pendant des semaines avant le jour prévu de la chasse (fig. 9).

J’avais repéré différents points d’apparition du soleil dans le lieu et je ne voulais pas que les spectateurs puissent anticiper mes déplacements en comprenant la course du soleil. Je préférais questionner leur attention. J’ai donc positionné mes cercles blancs, que je nomme « plaques sensibles », de telle sorte que la lumière se manifeste en différents points simultanément (fig.10). Au fur et à mesure de leur apparition, mes dessins révéleraient le déplacement de la terre sur elle même.

Mais, par essence dépendantes de la météo, les chasses de lumières sont risquées et fragiles. Pour Scanner asynchrone, la lumière est arrivée très rarement et de façon impromptue, faisant de la chasse une longue attente. Ce qui a totalement transformé la qualité de la performance et a ouvert une autre piste sur la question de l’expérience du spectateur, celle de la durée.

Fig 10 : Scanner asynchrone. Musée des Arts et Métiers. 2014 © A. Avril

Jouer du soleil, et plus

Enfin, dans les dispositifs à plusieurs plaques sensibles, si le soleil apparait sur plusieurs en même temps, la question est : où vais-je aller dessiner ? Comment interpréter cette situation ? Un choix doit s’opérer, très vite, dans l’urgence.

L’expression « être à l’affût », est venue de « Ecouter, Voir », ce qui signifie que tout rentre en compte : la lumière, mais aussi les sons, les spectateurs, leurs déplacements, comme leur attention.

Le dessin n’est jamais l’exécution d’un geste ; le déplacement dans le lieu n’est jamais prédéterminé ; l’action est toujours en rapport avec ce qui se passe autour. Je chasse la lumière, je perçois le regard du public, j’entends des sons : tous ces éléments ensemble m’emportent et provoquent mon mouvement.

Cette situation produit une strate d’interprétation supplémentaire. S’agit-il encore d’interprétation ou d’improvisation ? Dans les deux cas, le dispositif fait partition.

Fig 11 : Chasse de lumière. Ensa Paris Val-de-Seine, 2017. © S. Ancelot.

Jouer à plusieurs

En 2017, dans le hall de l’ENSA Paris val de Seine – où j’enseigne les arts plastiques –, nous avons réalisé, pour la première fois, une chasse de lumière publique collective, à huit personnes. Après observation, le lieu avait été installé. Sous la forme de cercles blancs, des plaques sensibles avaient été disposées pour recevoir de grands mouvements de lignes de lumière (fig. 11).

La question qui est alors apparut fut double : comment attendre s’il n’y a pas de lumière ? Comment dessiner quand elle apparait ? Il a fallu s’interroger sur l’improvisation au sein de ce dispositif, apprendre aux interprètes à en jouer et, lors de l’absence de lumière, à tenter de transmettre au public l’état d’affût.

Se mettre en attente et relayer cet état au public requiert un état d’hyperprésence. Pour acquérir l’hyperprésence, la comédienne Yasuyo Mochizuki nous a fait travailler une attente dynamique entre les cercles blancs, toujours à la limite entre l’équilibre et le déséquilibre.

Fig 12 : La peau que j’habite. Centre d’art Camille Lambert. Juvisy, 2016. © Laurent Ardhouin.

Laisser jouer le soleil seul

Fig 13 : La peau que j’habite. Centre d’art Camille Lambert. Juvisy, 2016. © Laurent Ardhouin.

Enfin, j’ai voulu tester un dispositif que le soleil activerait seul. J’ai utilisé les transmetteurs comme des partitions, au centre d’art Camille Lambert à Juvisy, dans l’exposition « La peau que j’habite » dont la commissaire était Sandrine Rouillard (fig.13).

Les différentes étapes avaient été réalisées au préalable : chasse de lumière dans le lieu, saisie sur papier, transcription en paillette, puis les transmetteurs ont été reposés in situ exactement là où les dessins avaient été saisis. Lorsque le soleil se déposait dessus, des ectoplasmes apparaissaient sur les murs (fig.12).

Les transmetteurs, peuvent aussi permettre de créer des partitions ex situ, c’est à dire d’intervenir sur un mouvement de lumière dans un lieu avec la cartographie lumineuse d’un autre, d’ouvrir d’autres pistes.

Ou, pour le dire autrement, cette rencontre de cartographies lumineuses ouvre à une forme de fiction. La proposition expérimentée lors de Extended score 2 au Cube, en est un exemple un peu différent. Dans ce cas précis, la présence réelle du soleil ne pouvant avoir lieu, l’aspect fictionnel s’est posé sur la fabrication d’une micro source lumineuse. Son mouvement rotatif devait activer les transmetteurs issus d’un autre espace du bâtiment jusqu’à l’apparition très ténue de ravissements lumineux.

Dans ces différentes propositions l’agencement des éléments « partitions » fabrique un environnement sans qu’à aucun moment je ne sois guidée par une image d’achèvement.