ONCE UPON A TIME, FUKUSHIMA
partition

Once upon a time, Fukushima

Partition suspendue pour aérophone

 

 

SYNOPSIS

 

Le projet qui suit est une description, une mise à plat nécessaire de ma participation au projet sonore et collaboratif de Dominique Balaÿ, Meanwhile, in Fukushima.

Je suis de mon occident. Je n'ai rien vu de Fukushima. Sinon des images et des sons, des agencements médiatiques qui sont venus habiter la sonorité \fukushima\. Pour nous, Occidentaux, Fukushima n'est plus ni un lieu, ni un événement. C'est cette sonorité-réceptacle où se sont déposés les angoisses, les fantasmes, les prémonitions d'une société égarée sur les voies de la mondialisation énergétique et nucléaire. \Fukushima\ est une allégorie moderne, la figure d'un mythe moderne, le précipité d'un inconscient collectif. Fusion et fission se sont agrégés à une catastrophe et à un cataclysme faisant de \fukushima\ le signe d'une apocalypse hypermoderne : \Fukushima\ est un big crunch symbolique, une cosmogonie inversée.

 

Once upon a time, Fukushima, partition suspendue pour un aérophone et un manipulant, vise à inverser la narratologie liée à \fukushima\. Elle reste fidèle au sens singulier indiqué par Otomo Yosihide, Michiro Endo et Ryoichi Wago dans leur manifeste : il ne s’agit ni d'une dénonciation militante, ni d'un simple reporting de faits, plutôt la démonstration d’un désir et une tentative de maintenir une « connexion » avec ces lieux et ces populations officiellement condamnés. Il s'agit d'activer un moment symbolique pour rendre à \fukushima\ ses forces positives et centrifuges ; d'un moment de lutte symbolique contre les forces mortifères pour proposer une nouvelle cosmogonie ouverte et en expansion.

 

Once upon a time, Fukushima

Moment B de la partition suspendue : une carte des centrales nucléaires du Japon devient une constellation manipulable à interpréter par l' « aérophoniste ». Sa manipulation entraîne une musique aléatoire qui se superpose au jeu de l'interprète.

 

SYNOPSIS

 

Les partitions suspendues sont composées, d’une part, d’éléments visuels qui sont amenés à être interprétés par un instrumentiste et, d’autre part, d’une composition électroacoustique fragmentée et bloquée par le scénario suspendu d'un programme. Il faut donc au moins deux exécutants pour réaliser une partition suspendue. L’(les) instrumentiste(s) qui interprète(nt) la partition et le manipulateur qui joue avec le programme-partition. En effet, c’est lui qui fait la connexion entre les représentations de la partition et l'espace de la projection sonore instrumentale et électroacoustique. En déplaçant la souris, il entraîne des modifications visuelles que l’instrumentiste traduit et des modifications sonores en empruntant tel ou tel son au scénario électroacoustique. Il a accès au « hors temps » de la partition, qu’il actualise avec l’interprète dans un temps concret.

 

Once upon a time, Fukushima comprend une partition suspendue pour aérophone et une partition pour « respirant », c'est-à-dire pour un « performeur » qui laisse entendre sa mécanique respiratoire en colorant légèrement son souffle par des voyelles. L'instrumentiste ou le « performeur », qui peuvent être la même personne, sont sonorisés et leur production est associée aux productions sonores de la partition interactive. Il n'y a pas de premier plan et de second plan, les interprètes ne sont pas des solistes, ils font corps avec l'écran et son devenir visuel et sonore.

 

Once upon a time, Fukushima propose quatre moments distincts, autonomes et complémentaires. Lors d'une interprétation en public, on peut choisir de jouer la partition sur une seule projection de manière linéaire ou faire jouer deux instrumentistes sur deux projections différentes. Dans ce dernier cas, il faut envisager plusieurs ordinateurs avec plusieurs vidéo-projecteurs en organisant l'espace de représentation en triptyque, où le panneau central ne sera destiné qu'à la projection du générique qui propose une musique générative. Dans tous les cas, on veillera à ne pas proposer plus de trois projections simultanées.

 

Once upon a time, Fukushima

Moment C de la partition suspendue : un respirant virtuel propose une suite de mouvements respiratoires à calquer. Chaque respiration est à la fois l'ingestion du fantasme « Fukushima » et la réaffirmation des possibilités de vie. Chaque respiration est à une vitesse différente et possède une coloration (une voyelle à faire entendre) différente.

 

Moment A : le Générique

 

Des feuilles de sakura traversent l'écran. Elles tombent lentement et leurs mouvements déclenchent des sons empruntés au projet sonore de Dominique Balaÿ, Meanwhile in Fukushima et une trame sonore qui annonce une forme dramatique à venir.

 

Cette page de musique générative autonome est le générique d'une partition suspendue, c'est-à-dire d'une partition sonore et visuelle à interpréter et/ou à manipuler. Cette première image, qui sert d'interface aux autres mouvements de la pièce, est à l'image du projet : un symbole double. Les fleurs de sakura qui tombent, qu'il est coutume au Japon d'associer à la mort, proposent aussi une connexion avec l'Europe. Les fleurs ne peuvent se dissocier des mangas et des animes que nous avons vus ou lus. Un symbole à double face qui propose un pont, un passage. Puis, chaque fleur, dans le lent parcours qui les mène jusqu'au hors champ de la limite inférieure de l'écran, déclenche des séquences sonores dont le contenu dépend de son parcours plus ou moins aléatoire. Sa chute, la petite quantité d'informations sonores qu'elle contient, annonce l'écriture mutationnelle à venir, point central du projet que je propose à Meanwhile in Fukushima.

 

Moment B : Mécaniques Funambules (Fukushima mix) pour aérophone

 

Une carte du Japon, renversée, apparaît sur l'écran. On peut y deviner le mont Fuji et Fukushima dans une sorte de résonance exotique. Par dessus, sur un calque, se trouve une carte des centrales nucléaires présentes au japon, accompagnées des villes importantes les plus proches. La taille des taches correspond à la puissance de chaque centrale. Ici, les fleurs de sakura se sont télescopées dans les centrales : les taches ont conservé le magenta initial caractéristique du cerisier.

 

Celui qui manipule la partition peut déplacer, agrandir, retourner, glisser cette carte qui devient une constellation. Elle pivote, glisse et se renverse (verticalement). En maniant cet élément de la partition, le manipulant passe sur une grille invisible, le passage du curseur de la souris sur celle-ci déclenche alors des sons et des séquences sonores. Puis, en faisant coïncider certaines taches avec le fragment de portée central, il propose à l'aérophoniste des notes à jouer.

 

La carte constellation comporte 3 séries de tailles de taches magenta et rondes. Il faut comprendre tout d’abord que cette hiérarchie servira d’échelle d’intensité pour les notes que jouera l’instrumentiste. Ces intensités ne sont pas ajustées sur la progression classique ppp, pp, p, mp, f… L’instrumentiste doit adapter son jeu aux sons électroacoustiques qui l’accompagnent. Les sons qu'il produit sont longs et sans expression, ils sont les résultats d'une mue.

 

Moment C : le Respirant

 

L'aérophoniste, ou un autre performeur, calque sa respiration sur le respirant qui apparaît à l'écran. Sous la forme d'un dessin animée, un homme en gros plan inspire et expire à des vitesses différentes, choisies aléatoirement par le programme. Son souffle est matérialisé par l'apparition et la disparition d'un texte. Ce texte est absolument incompréhensible, il s'agit de la définition française de « Fukushima » par Wikipédia, où la police d'écriture occidentale a été remplacée par une police d'écriture d'inspiration japonaise. Le respirant représenté, comme le respirant-performeur, ingère symboliquement la définition rendue à son agencement médiatique et fantasmatique. Sur la surface du texte apparaît une sonorité, une voyelle, qui sert a colorer légèrement le souffle entendu. Ces voyelles permettent aussi d'affirmer la corporalité du son, loin cette fois du symbole.

 

Once upon a time, Fukushima

Des citations de kamishibai servent de transition entre les différents moments. Ces inserts apparaissent de façon aléatoire et sont accompagnés de scènes de vie sonore japonaise empruntées à la banque de son open source du projet Meanwhile, in Fukushima.

 

Moment-insert : les panneaux de kamishibai

 

Once upon a time, Fukushima est une cosmogonie. Son écriture sonore et visuelle est mutationnelle. C'est pourquoi, l'une des références artistiques essentielles à ce projet est la bande dessinée, le manga. Comme Henry Van Lier le décrit dans son colloque de Cerisy (bande dessinée, récit et modernité, 1988) ce qui fait la bande dessinée (son noème) ,c'est le cadre. Pas n'importe quel cadre car, dans ce cas, la bande dessinée aurait pu exister dès la caverne, mais le multicadre aéronef voguant sur le blanc nul (du papier ou de l'écran dans notre cas). Ce multicadre fait de l'écriture BD une écriture mutationnelle : une écriture de « formes et de déformations, de limites et mutations catastrophiques » (Henry Van Lier, 1988).

 

Les transitions entre les moments de la partition sont choisies parmi une série de reproductions de panneaux de kamishibai. Ils glissent d'un bord à l'autre de l'écran, accompagnés de field recording issus des fichiers sonores disponibles sur le site de Meanwhile, in Fukushima et témoignant de la vie quotidienne japonaise. Le choix de ces panneaux de kamishibai s'est fait en référence, d'une part à leur généalogie avec le manga, et donc avec l'écriture mutationnelle décrite précédemment, mais aussi avec les cosmogonies japonaises que les histoires des kamishibai ont pu décrire, s'inspirant d’événements réels et de faits historiques pour les apprivoiser par la narration et l'intrigue. Une façon donc de « nous montrer un point de vue possible ainsi qu’une façon d'aborder la réalité. » (Otomo Yosihide, Michiro Endo et Ryoichi Wago)