Comment on en es-tu arrivée à préparer des partitions pour le spectacle ?
C'est un spectacle où il y a plein de média. Il y a la partie électroacoustique avec la spatialisation ; il y a ce qu'il y a sur scène, les musiciens, la comédienne-chanteuse ; il y a la vidéo ; la lumière ; il y a la mise en scène… On était dans un processus de création à plusieurs, pour ce spectacle.
Pour moi l’électroacoustique, c'est plus visuel que des mots. J'avais du mal à faire un déroulé par écrit. J'ai plus besoin d'images pour me faire une idée de l'énergie, du mouvement du son, avec des couleurs, des formes. J'arrivais mieux à me représenter la création en dessinant, comme une partition, plutôt qu’en écrivant un texte – même si ça peut être aussi une partition d'écrire un texte.
C'est comme ça qu'on a commencé à créer le truc. C'était vraiment utile pour le début, de dessiner le déroulé. Ce qui est compliqué, c'est que ce n'est pas facilement changeable une fois qu'on l'a dessiné. On a pensé à plusieurs manières pour essayer de le modifier au fur et à mesure.
Quels ont été tes partis pris pour cette partition ? Peux-tu la décrire et expliquer pourquoi tu l'as fait comme ça ?
Il y avait plusieurs trucs, mais ce qui est resté, c'était la partition un peu sous une forme d'ondes. C'est quand même un spectacle musical, donc on est parti sur l'idée de l'onde, qui monte qui descend, ça faisait trois grandes parties.
C'était aussi l'idée d'un cycle, puisque c'est un spectacle qui parle de la mort. L’idée du cycle de la vie, on meurt on renaît, on meurt on renaît, etc. Cette onde continue aussi, elle ne s'arrête jamais. C'était pour ça qu'on a choisi l’onde : ça monte ça redescend et puis sa remonte.
Il y avait aussi l’écho entre la première montée et la deuxième : ce qu'ils avaient en lien, ce qui avait changé et ce qui était pareil. Et se dire qu'après, ça va redescendre aussi et que ça va être pareil que l'autre.
C'était pour ça qu'on était parti sur l’idée de l’onde et aussi sur celle de calques superposées : comme c'est sur plein de plans, vidéo (il y avait des dessins et en même temps du stop motion), plus l'électroacoustique, et la spatialisation, et ce qui se passe sur scène, et ce que fait le percussionniste, ce que fait la violoniste, ce que fait la chanteuse… On a on a mis ça sous forme de calques pour que chacun puisse avoir sa propre partition.
Tout ça faisait une seule partition, tous réunis, mais on pouvait voir uniquement la partie du violon, ou de l’électroacoustique…
Quand tu dis « on », ça veut dire que c'était un travail collectif, cette création de la partition ?
C'est surtout avec Christine, qui est le moteur du projet, qui est aussi sur scène et qui fait le violon C'était surtout toutes les deux.
Cette idée me parlait beaucoup, puisque j'avais besoin de visualiser. En plus, c'était kiffant de construire un spectacle. Comment dessiner un spectacle, j'ai trouvé ça vachement chouette, autant pour moi dans mon travail de composition, que pour la création d'un spectacle à plusieurs.
Donc c'est c'est moi qui l'ait dessinée – je suis pas du tout dessinatrice, mais là c'était plutôt simple –, mais on l'a réfléchie, on l’a pensée ensemble avec Christine.
Vous avez faite cette partition entre deux périodes de résidence : peux-tu dire ce qui s'est passé lors de la résidence où était venu avec cette partition. Comment ça a été reçu, quelles ont été les remarques, est-ce que ça a servi, et à quoi ?
C'était surtout un truc qui faisait triper Christine et moi, mais, par exemple, ça ne parlait pas à la vidéaste. Les formes que je dessinais pour sa partie, ce n’était pas ce qu’elle voyait et, au niveau du temps, ça correspondait pas du tout à la durée de ces moments vidéo.
Pour le percussionniste, je ne sais même pas s'il a regardé – il n'était pas non plus à fond dans la création…
Je pense que ça plus aidé pour construire le projet, pour le présenter à des programmateurs, pour les demandes de subventions, pour présenter le projet…
C'était pour ça aussi qu'on voulait faire une partition, pour une idée de présentation et aussi pour un outil de travail.
Le problème c'est que, une fois que c'est dessiné, c'est un peu figé. Il faut pouvoir le redessiner, et si c'est pas toi qui a dessiné ta partie, tu n’as pas envie de la modifier. Et peut-être que ce n'est pas ta manière de faire, de voir.
Quand c'est en collectif, c'est hyper compliqué une partition, parce qu’on a pas du tout la même manière de dessiner tel ou tel mouvement…
Donc ça a servi surtout au début, mais après plus du tout.
Et pour toi, en particulier, quand est-ce que ça t'a été utile, à quoi ? Et après-coup, l'as-tu complètement oubliée ?
Moi j'en avais besoin, parce que dans ce projet il y avait plein d'idées qui arrivaient de partout et j'avais besoin de les inscrire. Donc ça m'a aidé à clarifier ce que je sentais, ce que je voyais. Et aussi, c’était vraiment le kiff de créer à plusieurs, c'est vraiment génial.
Mais une fois qu'on a avancé de plus en plus dans le spectacle, quand il a commencé à se dessiner plus, je ne l'ai plus du tout regardée. Après, on a écrit le déroulé, on est revenu sur un truc du début, et même ça je m'en servais pas. C'était tellement inscrit dans ma tête que je n'ai pas eu besoin de noter quoi que ce soit.
Si tu devais résumer les limites de la partition dans votre cas ?
Les limites c'est que, quand on veut faire collectif, c'est compliqué la partition, parce que j'ai l'impression que c'est lié à une personne qui décide. Et que chacun s'approprie une partition, je trouve ça très compliqué, quand c’est une création qu’on crée ensemble. Si on part d'une partition qui existe et qu'ensemble on la modifie, je pense c'est possible, mais créer un truc et après s'en servir, c'est difficile.
Nous, on n'y est pas arrivé, c'est clair, parce que je pense que c'était surtout moi qui était là-dedans. Si dès le départ on avait été un peu plus dedans, s’il n'y avait pas que Christine et moi, s'il y avait eu d'autres personnes, peut-être que on s'en serait plus servi.
Je trouve qu'en collectif, c'est compliqué s'il y a quelque chose d’assez individuel dans la partition. Par contre, pour tout ce qui est spectacle qui mélange plusieurs domaines et plusieurs états, autant visuels que sonores, mouvements et mises en scène, je trouve que c'est plus facile. On voit
beaucoup mieux ce qui se passe qu’avec un texte écrit.
Et maintenant qu’a eu lieu la première du spectacle, penses-tu que la partition dit quelque chose de ce que ça a donné à la fin ? Est-ce qu'il y a un très grand écart ?
Moi je le vois clairement (je ne sais pas pour les autres) : cette idée des trois espaces, de l'onde, il y avait aussi l'aspect lumière… Dans les détails, on n'a pas du tout suivi ce qu'on avait fait au début, mais l'idée générale, avec les sons et lumières, le spectacle est conçu comme ça, au final. En tout cas, je le perçois comme ça.
Ça ressemble à ce que j'avais imaginé dans la partition. Ce sont les petits détails qui sont pas au bon endroit, ou qu'on a enlevé, mais la partition en général, je trouve que ça correspond au spectacle. Mais c'est mon point de vue, je ne sais pas si les autres membres pourrait dire la même chose.
Quand vous êtes venus, avec Christine, présenter la partition, et ensuite, en parlant avec toi, il y avait quelque chose de l'ordre d'un échec, avec une déception et aussi une réticence à en parler… Est-ce que finalement tu regrettes d'avoir fait cette cette partition ? Est-ce que tu penses que c'était pas d'être passé par là à un moment donné, ou ça aurait été équivalent de ne pas passer par là ?
Je ne regrette pas du tout. Déjà, parce que j'ai trouvé ça génial à faire. Ça me changeait, plutôt que d’être devant mon ordi, avec les sons que je bidouille.
Par rapport au spectacle, je pense que c'était une étape qui a apporté au projet.
C'était peut-être un échec dans l'idée qu'on se faisait à ce moment là de ce que pouvait être la partition, qu’on allait s’aider de la partition pour tout créer, pour faire un truc collectif … On s'était fait plein d'idées par rapport à cette partition, donc c'est sûr qu'il y a un échec par rapport à tout ce qu'on s'était dit, mais en fait ça ne l'est pas, puisque ça nous a aidés à un moment donné de la création du spectacle et qu’à un moment, voilà, il faut lâcher.
Je me dis que maintenant il est là, on a fait la première mais il va encore un peu évoluer. J'ai l'impression que ça va peut-être revenir plus tard. Quand on aura vraiment bien construit le spectacle, peut-être qu'on va le redessiner. Ce serait intéressant.
Pour la suite, si j'ai d'autres projets comme ça, j'aimerais bien retenter l'expérience. C'est vraiment une autre dimension qu'on apporte à son travail de création qui est plutôt chouette !