ÉDITO
hors-norme

Nous allons aborder toute sorte de partitions, pas seulement celles qui font les cauchemars des enfants apprenant à jouer au piano, mais aussi les partitions graphiques, les notations de la danse, les scripts, scénarii, livrets et autres story-board, les plans d'architectes, les programmes informatiques, jusqu'à la tache de café sur la nappe et le ballet des jets d'eaux qui font apparaître les possibilités d’une autre musique.

Une liste de courses, un post-it avec des taches à effectuer, un agenda bien rempli, l'itinéraire recommandé, les lieux à visiter, la carte du restaurant, la notice d'utilisation, le mode d'emploi à suivre, la posologie à respecter, les conventions, les bonnes manières, la conduite préconisée, les normes qui s'imposent, le programme à tenir, mais pourtant, tout ne se passera pas exactement comme prévu, il y aura des oublis, des impasses, des écarts, des transgressions, des transformations…

Quand on interprète une partition – et on le fait tou•te•s très souvent, à moins de ne jamais rien prévoir ou préparer –, la marge de création est importante : cela nourrit le travail de beaucoup d'artistes.

Ce numéro 5 de L'Autre musique questionne les « partitions », pas pour savoir ce que c'est, mais pour montrer ce qu'en font les artistes, pour décrire et expliquer comment elles peuvent être opérantes.

Nous allons aborder toute sorte de partitions, pas seulement celles qui font les cauchemars des enfants apprenant à jouer au piano, mais aussi les partitions graphiques, les notations de la danse, les scripts, scénarii, livrets et autres story-board, les plans d'architectes, les programmes informatiques, jusqu'à la tache de café sur la nappe et le ballet des jets d'eaux qui font apparaître les possibilités d’une autre musique.

Ce numéro 5 de la revue L'Autre musique fait suite à l'enquête du laboratoire L'Autre musique : « Nouvelles modalités d'écriture du sonore et du musical ». Il questionne la pertinence de la notion de « partition » par rapport aux nouvelles pratiques du sonore, du musical et, plus largement, des arts contemporains : les écritures alternatives (partitions graphiques, vidéo, photographiques...), l'écriture de formes interactives, de performances et d'installations sonores, et les modalités d'écriture dans l'art contemporain (installation, performance, danse contemporaine, etc.).

 

Il ne s'agit pas de répéter les différentes approches sémiotiques qui ont déjà été faites, présentant l'analyse de la « partition » comme objet écrit à l’aide d'une représentation codée dans le but d'être translittérée en une réalité acoustique, engageant un débat éculé sur la relation entre l'écriture musicale et le langage. Même si nous ne remettons pas en cause que la partition peut induire la matérialité acoustique et ainsi sembler être « à son service », nous voudrions interroger la pertinence de cet objet comme « prétexte » (qu'il n'est pas seulement) autant que l'influence qu'il a sur ce qui en émerge (qu'on désigne plus volontiers sous le nom d'« œuvre »).

 

De ce fait, le terme « partition » sera convoqué dans un sens très large, interdisciplinaire, incluant les formes d'écritures codées traditionnelles comme les nouvelles formes d'écriture convoquées par les pratiques contemporaines : du programme informatique, à tous les niveaux de la réalisation de la partition, à l'écriture du méta-instrument (organologie, organisation technologique des effets, des instruments, des capteurs et des modes de diffusion), jusqu'à la prise en compte du contexte social, symbolique et géographique de l'écriture et de sa matérialisation, sans oublier l'actualité (ou non) des formes graphiques, textuelles, vidéo et photographiques liées à l'histoire des avant-gardes de la musique contemporaine et de la recherche en arts sonores.

À la lecture de numéro, nous espérons que vous serez sensible à un concept qui n’a pas fini de nourrir les pratiques multiples des artistes. Car il ne s’agit pas pour nous de figer et de donner une définition définitive aux « partitions », mais bien d’esquisser les lignes de fuite d’un objet d’étude qui nous paraît s’articuler autour de plusieurs couples de verbes qui témoignent de ces nombreux débordements :

« OBSERVER-CONSERVER »

Ces termes permettront d'interroger la notion de notation et l'action de noter. La partition a en effet un rapport au temps et à la mémoire particulier, d'autant plus si elle inscrit dans son écriture des dispositifs en « temps réel » ou des formes ouvertes d'interprétation qui entraînent une pratique plus ou moins improvisée dans le présent de sa matérialisation. De la même façon, certaines partitions (pas seulement sonores et musicales) prennent en considération l'espace de matérialisation de l’œuvre. De ce fait la « note » est à la fois la trace et une manière de conserver la mémoire d'un présent observé comme la matrice d'un présent à venir ou à déployer.

« FORMER-TRANSFORMER »

La partition est cet espace poïétique où s'envisage la matérialisation de l’œuvre à venir. Dans les formes variées qu'elle peut prendre (textuelle, dessinée, écrite...), la partition est un espace intermédial et intersémiotique par excellence. Le lieu du métissage et de la transformation où signes, matières, images sont soumis à des manipulations, redéfinitions... bref, la partition est le lieu d'une plasticité (Malabout, Debono) qui pourrait permettre d'interroger non pas la partition comme diagramme, mais la partition comme rediagrammatisation, c'est-à-dire une remise sur le chantier des signes.

« DONNER-ORDONNER »

La partition est un don, un message proposé à un autre en assumant la responsabilité de sa matérialisation. Mais c'est aussi un diagramme, au sens foucaldien du terme, qui ordonne autant qu'il donne. Objet d'analyse comme objet à interpréter, la partition est un objet culturel qui contribue et entretient des divisions qui affectent la vie quotidienne. S'inscrivant dans des normes et hiérarchisant les genres, les classes et les cultures, etc., la partition est aussi le lieu de l'intersectionnalité. Il serait alors pertinent de voir comment la notion de partition peut s'engager dans une écopraxie non-normative proposant des alternatives à notre manière de construire notre habitat (au sens grec du mot eco : oikos).

 

En vous souhaitant une bonne lecture.